18Avr

Dans les pas de la Suédoise Greta Thunberg, une nouvelle génération de militants émerge sur le continent. Elle réclame des actes à la hauteur des menaces qui pèsent sur son avenir.

L’histoire avait mal commencé. Ejectée d’une photo recadrée – par nécessité artistique, dira le photographe de l’agence Associated Press – de militants blancs pro-climat au Forum économique de Davos, en janvier 2020, l’Ougandaise Vanessa Nakate aurait pu ne rien dire. Les mois qui ont suivi ont au contraire montré qu’elle ne se laisserait pas « effacer ». Elle, et l’Afrique, dont elle veut faire entendre la voix. Fin octobre, elle a publié son premier livre, Une écologie sans frontières (Harper Collins, 256 pages, 18 euros), dont le titre original, A Bigger Picture (« une photo plus large »), est un clin d’œil à sa mésaventure helvète.

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Ses slogans ciselés pour interpeller les pays pollueurs comme les dirigeants des pays du Sud tentés par un développement fondé sur les énergies fossiles sont désormais célèbres, comme les fameux « on ne mange pas de charbon et on ne boit pas de pétrole ». Quelques semaines avant la COP26 de Glasgow, elle a apporté son soutien aux militants allemands qui font le siège du village de Lützerath (Rhénanie-Palatinat), dans l’ouest du pays, pour dénoncer l’exploitation d’une mine de charbon à ciel ouvert contraire à l’accord sur le climat de Paris de 2015 et son objectif de contenir la hausse moyenne des températures en dessous de 1,5 °C.

Prendre part à la conversation mondiale

La Suédoise Greta Thunberg et son initiative Fridays for Future (« Des vendredis pour l’avenir ») sont à l’origine de l’engagement de Vanessa Nakate comme de milliers d’autres jeunes Africains à travers le continent. Le mouvement, né en 2018 et formellement présent dans dix-sept pays, leur permet de prendre part à la conversation mondiale sur la crise écologique. Ils réclament une transition climatique juste : leur continent, qui, historiquement, a le moins contribué à l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ne doit pas être celui qui en paie le prix le plus élevé.

Les images des grèves scolaires du vendredi sont postées sur les réseaux sociaux où les militants – souvent des filles – font circuler l’information scientifique qui justifie leur anxiété. Les mises en garde du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ont autant résonné à Dakar et Luanda qu’à New York ou Tokyo. Sur leurs fils Facebook, Twitter ou Instagram, les dramatiques inondations dans la vallée de la Roya en France l’année dernière, celles survenues dans l’ouest de l’Allemagne cet étéles mégafeux en Australie et en Californie, les ouragans de Floride… offrent le spectacle des pays riches rattrapés par la multiplication des catastrophes naturelles et font écho à l’actualité de leur propre pays. A la différence – de taille – qu’ici, les populations ne disposent d’aucun filet de sécurité lorsqu’elles ont tout perdu. En 2020, plus d’un quart des Africains ont été affectés par un épisode de sécheresse, des inondations, un cyclone… selon le bureau des Nations unies pour la réduction des risques naturels. Des millions de personnes ont dû abandonner leur village.

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« Je veux que nos dirigeants aient mal à la tête à force de nous entendre crier pour qu’ils agissent contre le dérèglement climatique », Bob Matovu, de Fridays for Future Ouganda

La notoriété de ces étudiants engagés reste cependant plus grande à l’étranger, au sein de cette jeunesse cosmopolite et connectée, que chez eux. Certains gouvernements apprécient peu ces sit-in pendant lesquels leurs choix sont contestés sans aucune préséance. En Ouganda, le phénomène Vanessa Nakate s’accompagne d’une violente répression. Arrestations, intimidations, confiscation des téléphones portables… Si la tolérance était de mise lorsqu’il s’agissait d’interpeller sur la pollution plastique du lac Victoria ou sur l’air vicié de la capitale par les milliers de voitures et de mototaxis roulant au diesel, elle disparaît lorsque le gigantesque projet d’exploitation pétrolière porté par la société française Total est dénoncé.

La campagne Stop EACOP, du nom de l’oléoduc de plus de 1 400 km qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie pour acheminer le combustible jusqu’aux tankers du port de Tanga, sur l’océan Indien, est considérée comme un acte antigouvernemental et antidéveloppement par le président ougandais, Yoweri Museveni, trente-cinq ans au pouvoir. « Nous n’allons pas nous arrêter, car on nous vole notre avenir. Je veux que nos dirigeants aient mal à la tête à force de nous entendre crier pour qu’ils agissent contre le dérèglement climatique », clame néanmoins Bob Matovu, 21 ans, un des fondateurs de Fridays for Future Ouganda. Le jeune homme s’est posté à plusieurs reprises devant le Parlement de Kampala avec une pancarte résumant ses attentes en toutes lettres. Le dimanche, il manifeste à la sortie des églises avec les mêmes messages d’alerte.

Des promesses non tenues

L’arrivée de cette nouvelle génération sur le devant de la scène a remis du baume au cœur des militants plus aguerris et parfois guettés par le découragement. « Face à des négociations internationales qui s’enlisent, des gouvernements passifs, la mobilisation de ces jeunes apporte de l’espoir pour les luttes futures. Nous avons besoin d’eux. Ils osent des modes d’action plus créatifs », témoigne Landry Ninteretse, coordinateur du mouvement 350.org pour l’Afrique. Cette organisation mondiale luttant contre la poursuite de l’exploitation des énergies fossiles a été lancée aux Etats-Unis il y a une dizaine d’années et s’implante progressivement sur tous les continents. Trois bureaux ouverts à Cotonou, Johannesburg et Nairobi assurent le relais en Afrique. Le nom de l’ONG fait référence au seuil de 350 parties par million (ppm) de concentration de CO2 dans l’atmosphère, défini comme dangereux par les scientifiques. La concentration dans le monde s’est établie à un niveau record de 413 ppm en 2020, selon les chiffres publiés le 25 octobre par l’Organisation météorologique mondiale.

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Dans la ligne de mire de ces militants réunis sous la bannière « Keep it in the ground » (« laissez-les sous terre »), plusieurs grands programmes d’infrastructures jugés climaticides, comme la centrale à charbon de San Pedro en Côte d’Ivoire ou celle de Sengwa au Zimbabwe. M. Ninteretse veut cependant croire que les déclarations du président chinois, Xi Jinping, en septembre devant l’assemblée générale des Nations unies annoncent de futures victoires : la Chine, principal créancier du continent, s’est engagée à ne plus financer de nouvelles centrales à charbon à l’étranger.

« Les jeunes expriment leur colère avec radicalité et ils ont raison car c’est leur avenir qu’ils voient compromis », Aïssatou Diouf, de l’ONG Enda

Marathonienne chevronnée des négociations onusiennes, la Sénégalaise Aïssatou Diouf, responsable du plaidoyer climat-énergie de l’ONG Enda (Environnement, développement, action), observe aussi l’engagement croissant de cette génération qui, après avoir cru aux promesses de l’accord de Paris, constate à regret qu’elles ne sont pas tenues. « Entre les discours et les actes, l’écart est trop grand. Les pays industrialisés ont une responsabilité dans le dérèglement climatique qu’ils n’assument pas. Leurs efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sont insuffisants et la solidarité financière promise aux pays du Sud n’est pas là. Les jeunes expriment leur colère avec radicalité et ils ont raison car c’est leur avenir qu’ils voient compromis », approuve-t-elle. Tout en jugeant leur démarche « complémentaire » des pressions plus « diplomatiques » exercées par son organisation pour faire avancer les négociations. Enda est membre de Climate Action Network (Réseau action climat en France), un réseau mondial de 1 500 organisations dans lequel tous les pays africains sont représentés, à l’exception de quelques-uns comme le Gabon ou la Centrafrique.

Partout dans le monde, la jeunesse manifeste pour exiger que lui soit transmise « une planète en bon état ». En Afrique, cette génération des moins de 20 ans représente la moitié de la population. Les conditions dans lesquelles elle doit se construire un avenir sont déjà parmi les plus difficiles et les plus inégalitaires. Le dérèglement climatique ajoute sur ses épaules un fardeau qu’elle peut à juste titre estimer de « trop ». « L’augmentation de 1 °C des températures moyennes à l’échelle de la planète a déjà eu des conséquences sévères pour l’Afrique subsaharienne. Un réchauffement de 3 °C à 4 °C serait désastreux », alertait le Centre mondial sur l’adaptation au changement climatique dans son rapport de 2020. C’est ce que ne manqueront pas de rappeler les jeunes Africains à Glasgow – même sous-représentés, en raison des contraintes sanitaires ou du coût exorbitant du déplacement.

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