18Apr

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Aïssatou Diouf est responsable des politiques internationales et du plaidoyer au sein de l’ONG Enda Energie basée à Dakar, au Sénégal. Coordinatrice du Climate Action Network (Réseau Action Climat), en Afrique de l’Ouest et du Centre, elle arpente depuis près d’une décennie les couloirs des négociations climat. Retour sur la COP26.

Franceinfo Afrique : quels étaient, pour les Etats africains, les principaux enjeux de cette COP26 ?

Aïssatou Diouf : d’abord, réduire le réchauffement climatique sur une trajectoire de 2 à 1,5°C comme stipulé dans l’Accord de Paris. Ce qui est déjà problématique pour le continent puisqu’on voit déjà les sécheresses et les conséquences sur l’agriculture… Ensuite, concernant l’adaptation dans les pays en développement et les pertes et dommages, la question du financement est un enjeu prioritaire. C’est mon troisième point, mais c’était au cœur des négociations : les mécanismes de marchés carbone. C’est l’article 6 de l’Accord de Paris et on n’avait pas encore trouvé d’accord pour les règles de mise en œuvre et d’opérationnalisation. Tous ces enjeux concernent les Etats. Pour ce qui est des organisations de la société civile, l’enjeu était de mettre l’humain au centre des discussions parce que des communautés sont de plus en plus vulnérables et des vies sont en jeu.

Au final, pour les Africains, il y a donc eu très peu d’avancées à Glasgow si l’on s’en tient à la trajectoire et à la question du financement. Les 100 milliards pour l’adaptation ne sont toujours pas réunis…

Quelques jours avant la COP de Glasgow, la feuille de route publiée indiquait que les 100 milliards de dollars, promis à Copenhague, seraient atteints en 2023. C’était déjà problématique pour les pays en développement d’aller à Glasgow sur la base d’une promesse non tenue, puisque cette somme aurait dû être réunie en 2020. Il y a donc déjà un décalage de trois ans. Ce qui est énorme quand on lutte contre les effets du changement climatique. Tout cela montre qu’il n’y a pas de détermination. Il y a toujours une excuse quand il s’agit de trouver une solution à cette crise climatique qui touche les pays en développement alors que les nations les plus riches savent trouver l’argent quand elles le veulent. Dernier exemple avec la crise sanitaire liée au Covid-19.

Néanmoins, il y a quelques progrès. Par exemple, sur l’adaptation qui est aujourd’hui sous-financée. L’objectif de l’accord de Paris était d’équilibrer le financement climat : 50% pour l’atténuation et l’autre moitié pour l’adaptation. A Glasgow, il y a un engagement à doubler les financements sur l’adaptation d’ici 2025, soit 40 milliards de dollars. Ce qui fait 10 milliards de moins quand la base de calcul correspond aux fameux 100 milliards de dollars. C’est loin de satisfaire les besoins de pays en développement, mais cela reste une avancée notable.

Pas d’accord non plus sur les pertes et dommages…

Les pays africains et les petits Etats insulaires ont réussi à imposer la question des pertes et dommages comme un sujet politique à la COP26. C’est pour moi le fruit de la bataille des organisations de la société civile et des pays en développement. Par contre, ne pas mettre en place un mécanisme financier comme l’a proposé le G77 et la Chine pour ce qui est des pertes et dommages est regrettable. Résultat : l’action climatique est en train d’être retardée et on met davantage la vie de millions de personnes en danger. Cependant, la reconnaissance politique sur les pertes et dommages constitue une avancée. L’Ecosse et la Wallonie ont mis de l’argent, c’est incitatif. A noter que sur les pertes et dommages, un dialogue sur deux ans va avoir lieu à partir de 2022, mais il n’y a pas de garantie qu’un mécanisme sera mis en place au terme de ces négociations bien que les pays en développement comptent pousser dans ce sens. Au total, il faut davantage de financements pour l’adaptation et les pertes et dommages pour enfin enclencher cette transition écologique que nos Etats sont incapables de faire aujourd’hui. On ne peut pas continuer à faire le tour du monde pour récolter aussi peu de financement.

Ne serait-il pas temps que les pays africains, au lieu d’attendre l’argent promis, trouvent eux-mêmes le moyen de financer l’action climatique ?

Nos Etats se mobilisent déjà. Une partie considérable de leur PIB est utilisée pour faire face aux conséquences du changement climatique. La justice climatique est au centre de toute cette discussion que nous avons aujourd’hui. Par conséquent, la première question que l’on devrait se poser est la suivante : qui paye ? La réponse est assez simple : ce sont les responsables qui doivent payer. D’autant plus qu’en matière d’engagements, les pays africains jouent le jeu depuis le début. S’aligner sur une trajectoire de développement climato-compatible, c’est un coût additionnel au développement et nos Etats ne peuvent pas assumer cette charge supplémentaire. Les pays les plus riches doivent tenir leurs engagements et renforcer la mobilisation des financements. Tout le monde parle des 100 milliards comme si cette somme allait résoudre la question climatique en Afrique. Ce n’est pas vrai ! A cela, il faut ajouter que seuls 30-35% des financements mobilisés pour lutter contre le changement climatique atteignent le continent africain.

On a senti beaucoup de déception à propos de cette COP chez tous ceux qui se mobilisent depuis des années pour que les Etats prennent les bonnes décisions. Qu’en pensez-vous ?

Les gens commencent à en avoir assez du statu quo. Le Royaume-Uni a tout fait pour organiser cette COP en présentiel en dépit de la pandémie. Par conséquent, on attendait un leadership réel pour tirer les Etats vers plus d’ambition. Nous n’avons rien vu. En matière d’inclusivité, le compte n’y était pas non plus. C’était très difficile pour les organisations de la société civile d’assister aux négociations et d’être présents quand les chefs d’Etat et de gouvernement l’étaient. A ce propos, les gens en ont également marre d’entendre des responsables politiques déclarer qu’ils sont conscients du dérèglement climatique et que cela ne se traduise pas dans les salles de négociation. On voit les négociateurs de ces mêmes pays ne faire aucun effort. Par contre, la COP26 fait partie des COP les plus suivies. Les ONG appellent cela le « people power » (le pouvoir de l’opinion publique). Tous les citoyens qui étaient dans les rues à Glasgow et partout dans le monde ne veulent plus laisser prospérer ce statu quo.

Peut-on conclure que si l’action climatique ne décolle pas, c’est du fait des pays développés qui, en ne mettant pas les financements nécessaires à disposition, renient leur responsabilité historique ?

Ils refusent de prendre leurs responsabilités et diluent tout le discours sur « la responsabilité commune mais différenciée » en pointant les pays émergents comme l’Inde par exemple. Nous sommes d’accord que ces pays doivent faire des efforts et sortir progressivement des énergies fossiles et notamment le charbon. Mais qu’ont fait les pays développés depuis ? Les Etats historiquement responsables de ce réchauffement climatique ne sont pas en train de prendre leurs responsabilités.

Quelle serait la solution pour que les pays africains pèsent davantage dans les négociations climat ?

Il nous faudrait certainement une meilleure coordination entre les groupes où beaucoup de pays en développement sont présents, à savoir celui des Pays les moins avancés (PMA), le G77+Chine et le groupe Afrique. Ensuite, la Conférence des ministres africains de l’Environnement devrait soutenir davantage les négociateurs sur des questions complexes. Si les négociateurs n’arrivent pas à les régler, il faut qu’elles remontent à l’échelon ministériel surtout dans la perspective de la prochaine COP qui se tiendra en terre africaine, au Caire, en Egypte. On espère que les attentes des plus vulnérables seront enfin prises en compte et qu’il y aura un leadership fort des pays africains afin que les négociations délivrent des résultats à la hauteur de l’urgence climatique. On a beau critiquer la COP, mais c’est le seul processus que l’on a qui permet à la Gambie, aux Etats-Unis, à la France et au Sénégal d’être réunis autour de la même table.

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